Femmes Joaillières, visionnaires et révolutionnaires

Ce sont des femmes inspirées et inspirantes. Des femmes qui sont parvenues à imposer leur vision créative dans le monde de la joaillerie alors dominé par les hommes. Des femmes audacieuses. Qui signent des bijoux qui suivent, et soutiennent même, l’émancipation de leurs paires.

Suzanne Belperron, Jeanne Toussaint, Renée Puissant : autant de noms méconnus du grand public. Pourtant, chacune a imprimé son époque de son style singulier en signant des bijoux à la sensualité tactile. Il est temps de faire sortir de l’ombre ces femmes dont la joaillerie actuelle porte encore l’empreinte.

Suzanne

Suzanne belperron, à l’avant-garde de la liberté créative

Son nom ne nous est pas très familier. Et pourtant, de son temps, elle jouissait d’une grande notoriété, couvrant de bijoux la haute société européenne, dont Wallis Simpson, la sulfureuse Duchesse de Windsor… Ses créations ont figuré durant toute sa longue carrière sur les couvertures du Figaro Illustré, de Femina, de Vogue ou de Harpers’ Bazaar, pour ne citer qu’eux.

De nos jours, les amateurs prononcent encore son nom avec vénération. En effet, ses bijoux ont la cote et sont très recherchés par les collectionneurs, qui font monter les enchères à des prix records. Pour plus d’un, elle est la créatrice de bijoux la plus talentueuse et la plus influente du XXème siècle. Assurément une grande dame de la joaillerie.

Une créatrice avant-gardiste, couronnée de succès

Née en 1900, fille d’une horlogère et d’un lapidaire, Suzanne Belperron étudie aux Arts Décoratifs de Besançon, avant d’intégrer l’atelier Boivin à Paris, à 19 ans seulement. Elle le co-dirige rapidement et forme avec Jeanne Boivin, un duo de femmes créatrices peu commun pour l’époque. Suzanne Belperron en est la dessinatrice, jusqu’à son départ pour la maison Herz en 1932 ; elle emmène avec elle clientèle et ateliers.

Son succès lui vaut d’être courtisée par les prestigieuses maisons van Cleef & Arpels et Tiffany mais elle reste fidèle à Bernard Herz, grand négociant parisien en diamants et perles fines qui lui a offert la liberté créative dont elle rêvait. Au début de la guerre, elle rachète sa société, à sa demande, car il sent que les Juifs sont menacés : il meurt en effet, en déportation à Auschwitz, en 1943. Elle associe alors Jean, le fils de son mentor à sa réussite, jusqu’en 1974, année où elle ferme boutique. Ce qui ne l’empêcha pas de continuer à créer des bijoux jusqu’à sa mort, en 1983 pour quelques clientes privilégiées.

Des volumes qui frôlent la démesure

Les volumes exagérés de ses bijoux flirtent avec le travail de sculpteur. Mais, si certains sont exubérants, ils n’en demeurent pas moins élégants : sa créativité n’outrepasse jamais la limite du bon goût. A contre-courant de l’Art Déco, elle signe des bijoux graphiques et purs. Cependant, ils n’ont pas les angles vifs et tranchés de la tendance géométrique de l’époque. Elle leur préfère les contours plus onduleux, ce qui donne à ses créations un côté sensuel et charnel. Elle ne cessera d’ailleurs de rendre son style toujours plus souple et sinueux, dense et généreux.

Jeux de couleurs et de lumières

Suzanne Belperron maîtrise la couleur comme personne. Elle signe des camaïeux virtuoses, notamment autour de sa couleur préférée, le bleu : du lavande à l’indigo. Elle fait par ailleurs le choix audacieux d’associer des pierres précieuses à des pierres fines ou ornementales : elle n’hésite pas à incruster des saphirs dans de la calcédoine bleue, des rubis sur du quartz rose ou à marier diamants et cristal de roche. Ses inventives associations de couleurs et de matières – translucide, transparent et opaque engendrent des jeux de lumière inédits.

Son audace ? Choisir les pierres pour leur beauté et leur éclat plutôt que pour leur préciosité. Ainsi, ses clientes, aux personnalités affirmées, se parent de pierres dures quand la tendance est de briller sous les diamants. Elles attachent plus d’importance à la valeur artistique qu’à la matière du bijou. Elles sont attirées par une joaillerie en rupture avec le passé.

Suzanne Belperron était une véritable artiste d’avant-garde, doublée d’une coloriste hors pair, l’une des rares femmes qui a su se faire une place sous les projecteurs dans l’univers masculin de la joaillerie. Elle réinventa le bijou en mixant le précieux et le modeste, le brillant et le mat, n’ayant aucun parti-pris quant à la matière. Et a fait de chacune de ses pièces une véritable sculpture.

La vision de Suzanne Belperron en quelques images